Blanc. Tout est blanc, aussi loin que portent mes yeux. Le paysage est méconnaissable. L’encre de la nuit elle-même n’est plus noire, comme diluée par cette poussière d’étoiles qui recouvre et adoucit tout ce qui m’entoure. L’atmosphère n’a pas échappé à l’empreinte du temps ; elle s’est emplie d’ouate, de ce blanc silence presque assourdissant qui vous colle aux tympans. Ivre de ce vide réparateur, je reste là un moment, immobile dans ma chape de sérénité, avec pour seul écho dans ma tête celui de mon cœur faisant de la résistance. Bientôt pourtant, un violent frisson me parcourt; le froid piquant me rappelle à la réalité. Il va me falloir gagner mon affût avant que le ciel ne pâlisse pour de bon, ma venue ne pouvant en aucun cas être soupçonnée par les hôtes tant espérés. A la lueur de la blanche, bien aidé par la taciturne poudreuse, je reprends ma progression, glissant dans la nuit comme dans un gant de velours. Du coin de l’œil, du creux de l’oreille, je guette le moindre mouvement, le moindre son susceptible de traduire une inquiétude. Quelques centaines de mètres plus loin, parvenu sur la crête, le vent s’anime, renforçant la sensation de froid. Si la marche m’a réchauffé, mes doigts eux, enserrant le trépied métallique, s’engourdissent douloureusement. Le sang affluant dans mes tempes ne tarde pas à se joindre à la chamade battant dans ma poitrine ; je suis chargé comme une mule et il est grand temps d’arriver si je veux éviter, durant toute la journée, la torture trop souvent endurée de la sueur gelée sous les vêtements humides… Loin devant moi, dans le vallon immaculé, je distingue la silhouette écrasée des arbres ; mon affût m’attend là. Longer la lisière, descendre vers le ruisseau, trouver le passage, rejoindre l’arbre mort…enfin voici la masse sombre de la cache. Y glisser le matériel, m’envelopper de couches supplémentaires, regarder une dernière fois les étoiles, puis m’enfermer dans le mètre cube-frigo, pour la journée entière. Prison glaciale ? Antichambre du bonheur ? Cela dépendra du bon vouloir des animaux attendus et de ma détermination, mais Dame chance aura aussi son mot à dire… Une fois passé le temps de l’installation à tâtons, je respire profondément ; aucun cri d’alarme sur mon parcours et je suis dans les temps : la journée blanche peut commencer !

Fiche de présentation: ici

« Sous l’aile du temps » (Revue Image et Nature n° 39)