On ne peut s’empêcher de penser qu’un triple phénomène propre au cerf fascine l’âme humaine dès ses lointaines origines. Le brame est sans nul doute une des plus impressionnantes manifestations naturelles. À la charnière entre la période clémente de l’été et la rudesse de l’hiver, il annonce, en synchronie avec le passage des oiseaux migrateurs, les proches rigueurs des frimas et les difficultés à y survivre. Ce cérémonial sonore et visuel, répété avec une telle précision de temps et une telle intensité, renouvelé année après année, a dû rythmer la vie des premiers hommes. Il a dû également les interroger sur leur propre place dans cet univers naturel, dans ce qui les crée et les meut et dans ce qui les fait s’y fondre et finalement s’y perdre un jour, après tant de brames écoutés.
La ramure est le deuxième phénomène marquant. Le cerf est bien le seul animal dont la tête se prolonge par un arbre. La forme, la couleur, le nom même des bois matérialisent sur la tête de cet animal le milieu dans lequel il vit, le végétal dont il se nourrit. Il porte sur son crâne le symbole même de son lien à la terre. Mais il le projette avec tout autant de force vers le ciel.
Sans doute la dernière caractéristique majeure des cervidés a-t-elle dû interpeller, questionner plus que toute autre ces premiers hommes. C’est cette chute annuelle des bois. Ce dépôt répété des mues au sol, comme une mort inévitable. Mais plus encore, certainement, cette fascinante renaissance, immuable, jamais reportée, sans cesse recommencée. Cette renaissance qui, derrière la perte d’une ramure majestueuse, est la promesse d’une neuve plus belle encore, plus forte, plus affirmée en puissance lors de la repousse suivante. Puisque telle est bien, chez le cerf bien plus que chez tout autre cervidé, la ligne de vie. Perdre ses bois, et parallèlement renoncer temporairement à ce qui fait force et beauté, voire supériorité, pour en faire repousser de plus beaux et de plus forts. Et ce phénomène unique dans la nature se déroule à un autre moment charnière de l’année pour les premiers hommes : celui de l’allongement irréversible des jours, de la victoire de la lumière sur l’obscurité, du retour aux saisons douces et nourricières que symbolisera en même temps le nouveau passage sonore des migrateurs …/…
« Au nom du cerf » – reportage télévisé- TV LUX 2015